Prix littéraires et autres angoisses

von Antoine Jaccoud 23. August 2013

Je vais bientôt recevoir un prix littéraire – je ne peux pas dire lequel encore, il y a embargo, j’ai promis de me taire. Une élue m’a appelé pour m’en informer, un dimanche soir, la voix grave, le ton solennel.

Sur le moment j’ai cru que mes enfants avaient fait une connerie à l’école – le vol d’un ordinateur, une pipe de crack trouvée dans leurs affaires – car cette dame est en charge des affaires scolaires en plus de la culture (c’est souvent des dames qui sont cheffes de la Kultur, puisque c’est elles, selon les statistiques de l’Unesco, qui prennent les décisions en matière de consommation culturelle. L’homme, lui, préfère à priori aller bouffer une pizza plutôt qu’aller voir „Black Swann“, par exemple, ou assister à un concert de Martha Argerich).

Cette nouvelle – un prix littéraire, pour moi l’auteur polymorphe si souvent invisible voire inaudible, l’écrivain dont le travail passe par la bouche des comédiens, ou organise discrètement le voyage du spectateur – m’a d’abord enchanté. Puis la joie, sous l’action d’un Dieu méchant ou d’une profonde névrose, comme on voudra,  s’est peu à peu évanouie et l’anxiété a pris progressivement la place laissée par un bonheur évanoui. De vieilles mises en garde médicales soudain remémorées, des taches suspectes ici ou là, des symptômes soudain ressentis avec une acuité particulière, bref, les lourdes épées de Damoclès de la maladie et de la mort se sont installées durablement au-dessus de ma tête, inhibant toute capacité à jouir de la vie, du succès et de la promesse d’un apéro généreux aux frais de la princesse. Je suis coutumier du fait. La première fois que j’ai reçu un Quartz du Cinéma suisse, je me sentais à mille lieues de le mériter. Invité à une conférence dans une école de film, je m’étais montré critique – voulant bien faire, être résolument analytique – à l’égard du film d’un ami. J’étais maintenant en face de lui et me sentais comme Judas devant le Christ. La deuxième fois que j’ai reçu un Quartz (!), une amie m’a sauté dessus pour m’embrasser quelques secondes avant qu’on me le remette, écrasant un gros bouton de fièvre sur le coin de ma bouche. Lorsque je suis monté sur la scène, mes lèvres (déjà atteintes, j’en étais sûr) ont bien sûr bredouillé quelques mots de remerciement, mais mon cerveau, lui, hurlait à l’adresse du public: „j’ai de l’herpès, je suis foutu!„. Les biographes américains ont inventé le concept de catastrophe du succès pour décrire les crises profondes dans lesquelles ses divers Oscars ont plongé Frank Capra. Fils d’ouvriers siciliens, il ne parvenait pas à vivre sa gloire autrement que comme un conflit de loyauté à l’égard des siens. Faudrait-il refuser toute récompense, toute gratification, pour connaître la paix? Cette attitude entraînerait sûrement des dommages psychiques non moins douloureux. Il n’y a pas de solution. Un dieu méchant veille, ou la névrose. Comme on voudra.