Deux grands bifidus

von Antoine Jaccoud 27. November 2013

Pour tuer le writer’s block, j’ai pris une douche, longuement, très chaude;

j’ai ensuite écrit tout ce qui me passait par la tête, j’ai pris note de tout ce que je voyais, j’entendais, je ressentais (mais ce que je ressentais, surtout, c’était ce writer’s block dans lequel j’étais douloureusement et honteusement englué);

j’ai essayé ensuite de me souvenir que j’ai écrit des milliers de pages dans ma vie, certaines sans intérêt, d’autres touchantes et pleines de profondeur, que j’ai été publié quelquefois, que mes mots ont passé par la bouche de comédiens avides de les prononcer et de les défendre, mais cela n’a pas suffi.

Le writer’s block a résisté.

J’ai alors rédigé une liste de courses – même cela a été difficile: j’ai séché un long moment après avoir écrit «2 grands bifidus» au crayon noir en haut du bout de papier – et je suis allé jusqu’au magasin, en bas de la rue le long de laquelle s’élève mon immeuble.

Il n’y avait pas grand monde bien sûr, la plupart des gens étaient au travail – des boulots normaux, avec des petits coups de mou de temps à autre probablement, pas des «blocks» aussi terrifiants que les miens – mais j’ai tout de même trouvé une dame dans la quarantaine – noiraude, petite, jolie, sud-américaine peut-être – sur laquelle fantasmer – on irait chez elle, on se déshabillerait, on boirait un petit cognac en regardant un DVD («Il était une fois en Amérique», peut-être, ou un Mike Leigh), j’enverrais faire foutre mes ambitions littéraires et leurs blocages – puis je suis passé à la caisse où cette employée que je n’aime pas ne m’a comme d’habitude pas dit merde.

Je suis ensuite revenu chez moi, ai étalé les courses sur la table, ai lu les étiquettes (additifs, vitamines, si c’est fait en Suisse ou pas), ai rangé les choses dans le frigo et les armoires puis je me suis remis devant l’ordinateur.

Le writer’s block s’était assoupi, le con.

Il dormait sur le dos, le ventre à l’air, dans une posture de guerrier au repos.

J’en ai profité.