Un conte de Noël

von Antoine Jaccoud 19. Dezember 2018

Y avait Meriton qui scrollait régulièrement l’écran de son Samsung pour regarder la photo d’une Mercédès qu’il convoitait peut-être, ou avait vendu à un cousin. C’était difficile à dire. C’était une belle bagnole en tout cas. Y avait Endrit qui était allé voir la fille de la sœur de sa tante, la belle Blerta, pour lui faire comprendre qu’il l’épouserait bien l’été prochain et que 350 invités dans la grande salle de l’hôtel Eros sur la route de Prizren ce serait le minimum. Y avait Agon qui était allé voir son père qui agonisait à Ferizaj et qui se disait qu’il eut mieux valu qu’il meure maintenant plutôt qu’à Noël – période durant laquelle il aurait du mal à revenir au bled à cause de son boulot dans une grande surface. Y avait aussi Kushtrim dont la mère se remettait gentiment d’un AVC à Lipjan après deux mois passés à l’hôpital central de Pristina -celui que, personnellement, je vous déconseillerais si vous pouvez choisir. Y avait Jeton, enfin, qui s’était fait faire une coupe de cheveux style mercenaire russe en poste dans le Dombass et qui trouvait ça beau. Bref, c’était un vol normal entre Pristina et Genève comme il y en a tous les matins. Une partie de la tête était encore au pays, l’autre déjà à Yverdon, ou à Lausanne, tandis que sur la gauche les Alpes bernoises commençaient à percer vaillamment la mer de brouillard et que les crêtes du Jura étaient encore un peu à la traîne sur ce point.  On en était là lorsque le steward en gilet noir annonça la collecte de l’UNICEF pour les enfants victimes de la polio, « les derniers » précisa-t-il. Ce fut alors comme si tous se réveillaient, oubliaient leur smartphone, leurs soucis, leurs petites affaires et leurs projets. Meriton donna une pièce de 5 francs. Endrit jeta un billet de 10 euros dans le sac plastic marqué du logo de l’UNICEF. Agon donna tout ce qui lui restait de monnaie en euros, ce qui eut pour effet d’alourdir considérablement le réceptacle de la collecte. Kushtrim mit 20 balles sans sourciller. Et Jeton, oui, celui qu’on aurait bien vu dans une tranchée, en treillis et une AK 47 à la main, sortit de sa poche une pièce de 2 francs suisses. Je tenais mon conte de Noël. Sauf que c’était du vécu. A l’arrivée à Genève, alors que tous se levaient dans une joyeuse cohue pour attraper leurs bagages, un de ces gaillards m’aida encore à mettre mon manteau, tirant sur la manche mal dépliée, corrigeant les épaules, ajustant la capuche. Tel un frère. La meilleure partie de la Suisse, je me dis, c’est le Kosovo.