Sur l’école publique

von Antoine Jaccoud 1. September 2017

Tu n’aimes pas voir tes enfants rentrer déçus de l’école parce que le prof n’avait rien à leur dire sur ce qui leur fait peur, comme les attentats, les menaces de guerre ou le réchauffement climatique.

Tu n’aimes pas voir tes enfants avoir mal au ventre parce que leur prof a annoncé qu’il ne tolérerait pas les ratures dans les cahiers.

Tu n’aimes pas apprendre qu’un prof leur a expliqué que les G (ceux qui ne sont pas en filière maturité) n’avaient pas droit aux correspondants allemands  parce que les appartements de leurs parents étaient trop petits.

Tu n’aimes pas entendre ces profs raconter, à la deuxième bière, l’hémorragie de burn out chez leurs collègues.

Tu n’aimes pas entendre ces mêmes profs confier, à la  troisième bière, qu’une période de travail se compose pour eux de 20 minutes de « police » et 20 minutes d’enseignement.

Tu n’aimes pas penser que les flics ont des espaces pour parler de leurs problèmes mais pas les profs.

Tu n’aimes pas constater que les profs semblent totalement vulnérables et démunis face aux parents dès lors que ceux-ci leur posent des questions, ou les embêtent (ce qui arrive de plus en plus souvent).

Tu n’aimes pas que ces mêmes profs semblent ignorer qu’ils passent une bonne partie de leur temps à naturaliser les inégalités sociales, c’est à dire, aussi, les inégalités devant les maths, ou le français, ou la vie en général.

Tu n’aimes pas te dire que l’appellation « Grande Muette » semble aujourd’hui mieux convenir à l’école qu’à l’armée.

Tu n’aimes pas que les destinations des voyages de classe ressemblent à s’y méprendre à l’offre d’easy jet.

Tu n’aimes pas, et ça, ça te rend vraiment vénère, que les banques et les importateurs d’automobiles deviennent aujourd’hui des partenaires pour la conception et le financement des manuels scolaires – d’ailleurs, tu trouves qu’on n’aurait pu t’en informer.

Et puis tu n’aimes pas vraiment dire du mal de l’école publique mais parfois c’est difficile.