C’est aujourd’hui comme chaque année à la même période le concours de plongeon sur le pont de Visegrad, ce fameux Pont sur la Drina qui donne son titre au roman de Ivo Andric, Prix Nobel 1961. On jeta du haut de ce même ouvrage des hommes musulmans en 1992 avant de les tirer comme des canards au moment où ils touchaient la surface de l’eau. C’était l’épuration ethnique qui fit 6000 morts dans cette région aux collines si douces et si paisibles qu’on voudrait s’y installer pour toujours si le présent était éternel. Aujourd’hui ils sautent tout seuls dans l’eau ces jeunes gens à moitiés nus venus de Banja Luka, Sarajevo ou Podgorica, et des hommes-grenouilles les accueillent sous les arches depuis qu’un concurrent s’est tué parce que la rivière était basse. Un peu hercules de foire, un peu matamores saluant le jury d’une mussolinienne gestuelle, tous sont bien bâtis sauf un. Celui-ci, le slip de bain remonté haut sur les bourrelets, semble porter des Pampers. Est-ce à cause de lui que l’on ne se sent pas tout à fait dans un film de Pasolini, ou est-ce autre chose de plus trouble, de plus noir, qui affleure de dessous la Drina malgré sa tranquille indifférence ?