Petite bouffe entre amis

von Antoine Jaccoud 24. Oktober 2013

Un sociologue français prophétise qu’il ne sera bientôt plus possible de nous asseoir autour d’une table pour simplement partager un repas et une ou deux bouteilles de vin entre amis, voire même au sein de la famille.

Pourquoi une prédiction aussi pessimiste? Parce que si Rémi mange encore de la viande, Sophie s’y refuse absolument, tout comme Marie devenue végétalienne et militant pour les droits des animaux, tandis que Thierry est allergique au gluten, que Marie-Laure croit l’être (depuis qu’elle a lu une interview de Djokovic), que Rébecca ne mange pas d’ail – au contraire de François qui en mange des tonnes dans l’espoir de dilater ses artères – et que Jacques-Henri, enfin, a tout simplement cessé de manger le soir depuis son divorce afin d’arriver “fit” au marathon de New York…

C’est une tendance aussi lourde que contemporaine: chacun de nous réclame et exige son droit à une alimentation particulière qui risque fort d’exclure, voire de condamner celle du voisin. Tu bouffes ce que tu veux mais moi, en tout cas, je fais attention…

On voit mal dans ces conditions comment il serait encore possible de réunir un groupe d’amis autour d’une blanquette de veau, d’un plat de scampis ou même d’une ratatouille. Si par miracle tout le monde fait l’effort de suspendre le temps d’un soir les diktats de son régime personnel, il s’en trouvera un pour demander d’où vient le veau, un autre pour raconter le documentaire sur les antibiotiques utilisés dans les fermes marines du Vietnam et un troisième pour demander si les courgettes sont bio.

On comprend mieux désormais pourquoi il est plus facile d’avoir 548 amis sur Facebook plutôt que 4 dans la vraie vie. Et l’on saisit mieux également  pourquoi tant de gens mettent des photos de ce qu’ils mangent sur les réseaux sociaux. I like la photo de ton couscous, I share la photo de ton soufflé aux framboises, mais je ne bouffe pas avec toi.

 

«Les alimentations particulières: mangerons-nous encore ensemble demain?», sous la direction de Claude Fischler, Editions Odile Jacob.