Ce n’est pas encore une tribu – comme l’est celle des fixies aujourd’hui, ou comme le fut celle des skaters autrefois, avec son langage, ses rituels et ses signes d’appartenance de Cracovie à Sidney, de Nidau à Miami. Et rien ne dit que cela le devienne un jour.
Rejoindre une telle communauté n’est pas à la portée du premier venu. Le nombre de ses adeptes va croissant pourtant. Et vous en avez certainement vu un ou deux à Zurich, à la gare de Berne, ou dans un tram genevois. C’est par grand froid qu’on les observe le mieux (peut-être comme les pingouins, ou les ours blancs). Vous portez ce jour là une doudoune ou un manteau d’hiver, un bonnet, une laine polaire, et un sous-vêtement en mérinos qui vous a coûté un bras (si vous avez opté bien sûr pour le modèle qui ne pue pas après un jour).
Lui, car c’est généralement un garçon, est en t-shirt, bermuda et parfois, mais c’est un peu plus rare, en sandales ouvertes, et affronte ainsi le froid, la bise, et le gel apparemment sans sourciller. Non, il ne vient pas de sortir de l’avion qui le ramenait de Pattaya (ça, c’est les AVS), il ne sort pas non plus de l’hôpital après un hiver et un printemps passés dans le coma, il n’est pas, enfin, un working poor qui n’aurait pas eu les moyens de se payer une vieille veste en gore-tex au outlet de Bächli.
Non, ce jeune homme a choisi, en toute liberté, de s’habiller comme en plein été alors qu’il fait au dessous de zéro. Et il a choisi d’affronter l’hiver la poitrine couverte de son seul t-shirt, au contraire de la majorité de ses frères humains, qui tremblent sous leurs couches de protection. Rien d’autre que la dénégation active du froid, ou la guerre déclarée à celui-ci. On verra peut-être dans cette posture l’affirmation de cette virilité, celle des bagarres du samedi soir ou des scarifications, qui voit dans le corps une bête à battre, et à dresser dans la brutalité et les sévices.
On pourra y voir aussi une manière originale de se faire remarquer. Dans une grande ville, et nos villes deviennent grandes, il faut parfois faire tache, comme on dit, pour se distinguer du troupeau.
Mais on pourra voir aussi dans ce comportement – et c’est mon hypothèse préférée – une manière d’adaptation anticipée, et courageuse, aux grandes chaleurs que nous promettent les experts du GIEC (le fameux groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et les météorologues.
Dans quelques années, la saison des grillades, des Adilette et des bains dans l’Aar – ou la Limmat – pourrait être nettement plus longue qu’aujourd’hui. Ces gars l’ont compris, ils s’en réjouissent (l’amour de l’été est probablement inné, celui de l’hiver un peu moins), et ils s’y préparent.
Pour eux, c’est clair, the future is summer, même s’il faut claquer des dents quelques années encore.