L’aînée des enfants Schranz

von Antoine Jaccoud 8. Mai 2014

Je me demande parfois ce que sont devenus les trois enfants de la famille Schranz qui exploitait, dans les années 70, la petite pension et la boucherie de Boden, le petit village qui jouxte Adelboden sur la route de l’Engstigenalp.

Le garçon, qui avait une douzaine d’années mais semblait aussi robuste qu’un adulte, apportait chaque soir les épluchures aux cochons, qui étaient gardés dans une écurie proche du commerce familial. Elles étaient entassées dans des boilles à lait d’aluminium qu’il transportait à l’aide d’une petite carriole. Je me souviens que la chose était sale, couverte de merde même, et que l’énergie exceptionnelle de ce garçon me faisait un peu peur.

Je n’ai que des souvenirs vagues et flous de celle qui devait être sa petite soeur, une fillette de 8 ou 9 ans qui aurait pu, me semble-t-il, incarner Fifi Brindacier (Pippi Langstrumpf) si cette saga avait eu l’Oberland bernois pour théâtre.

Je garde en revanche un souvenir tenace et ému de l’aînée des enfants Schranz: une adolescente de mon âge – 13, 14 ans? – dont je voudrais pouvoir retrouver – murmurer – le prénom maintenant. Son visage était doux, ses yeux bleus souriaient sous sa frange. Elle paraissait différente: moins rustique, moins forte physiquement aussi que les autres membres de la fratrie. Jamais d’ailleurs je ne la vis s’affairer du côté des cochons ou de leurs produits dérivés. Elle aidait bien sûr un peu au bistrot mais pour le reste, semblait occupée à travailler pour l’école.

Nous nous sommes retrouvés quelquefois à la piscine, couchés à quelques mètres l’un de l’autre. Elle portait un joli maillot une pièce. Je ne saurais le décrire aujourd’hui, bien sûr, mais je me souviens sans doute aucun que je le trouvais joli. Je ne crois pas toutefois que nous ayons fait plus qu’échangé une dizaine de mots. Elle parlait trois mots de français, et moi quatre d’allemand. C’était trop peu pour commencer une romance.

Je me dis aujourd’hui que si nos compétences avaient été meilleures – si l’école vaudoise et bernoise avait mieux fait leur boulot – eh bien nous nous serions l’aînée Schranz et moi probablement aventurés plus loin. Et qui sait? Peut-être serais-je aujourd’hui hôtelier à Adelboden, régnant fièrement sur mon spa, ou alors propriétaire d’un magasin de sport, et d’une belle Audi noire à traction permanente. Le ventre rebondi sous une laine polaire, je regarderais l’aînée des enfants Schranz, ému du chemin avec elle parcouru. Avec l’Engstigenalp chaque jour pour horizon.