Consommer/consoler

von Antoine Jaccoud 25. September 2013

C’est un dimanche de pluie, près de Val d’Or, au nord du Québec, il y a quelques jours. On roule depuis des heures dans notre van Dodge blanc.

On est là, deux Suisses et un Québecois, occupés à des repérages pour un film futur, une histoire avec des camions, des flics, et des Indiens. A l’entrée de la ville, un Wal-Mart exhibe triomphalement son architecture de hangar d’aéroport. Une alarme résonne alors dans nos cerveaux. Wal Mart, c’est l’un des plus gros employeurs au monde, la boîte qui fit tant pression sur ses fournisseurs qu’elle les obligea à délocaliser en Chine (ruinant ainsi nombre de petites villes américaines), celle qui prohiba les syndicats partout où elle le put (c’est à dire presque partout), celle qui, entre autres mauvais traitements, alla enfin jusqu’à interdire de flirter à ses employés. On décide d’aller voir, d’aller faire un tour dans les rayons. Il y aura sûrement des choses, et des “tronches”, à voir. Et puis il y aura peut-être – la chair est faible – une connerie ou deux à acheter.

C’est dimanche, mais la grande, la méga grande surface (combien de Migros de chez nous on pourrait mettre là-dedans?) est bondée: une ruche pleine de familles poussant des caddies chargés comme des semi-remorques entre des rayons de 100 mètres de long. Je vais voir du côté de l’électronique. Le cinéaste polonais Krisztof Kieslowski aimait arpenter les Interdiscount lorsqu’il animait un workshop à Berne au début des années 90. “Je vais au Musée d’art contemporain” nous disait-il en interrompant, un sourire un coin, son enseignement en fin d’après-midi.

Vingt-cinq ans plus tard, ce sont des Algonquins obèses, tellement obèses, qui fouillent une gondole remplie de Blue-ray à 5 dollars pièce. Je pense à cet entretien que j’ai eu avec un de leurs chefs quelques jours plus tôt. Il m’a raconté la chasse à l’orignal qui va commencer,  ses descentes en pirogue jusqu’à la Baie James (trois semaines à se laisser descendre au fil du courant de l’Harricana) quand il était plus jeune, les fameux pensionnats indiens, enfin,  où les enfants autochtones furent abusés et violés par centaines durant un demi-siècle. On a pu substituer le terme de société de consolation à la vieille formule de “société de consommation” pour mieux dire les raisons profondes de nos compulsives pratiques. Nous consoler de nos malheurs, voilà ce que nous allons chercher dans les rayons de Wal Mart comme dans ceux de nos Lidl, nos Casino ou nos Aldi. Je veux penser toutefois que la consolation serait plus belle dans la forêt, ou assis dans une pirogue, ou n’importe où ailleurs, surtout un dimanche. Et j’ai envie de le dire aux Algonquins qui fouillent toujours leur gondole à la recherche d’un blockbuster à bas prix. Le dimanche, c’est fait pour la chasse, ou la pirogue, pas pour “magasiner”.

A l’aéroport de Montréal, je découvre un automate qui permet d’acheter des I-pad sans avoir à adresser la parole à quiconque. Super.